Révolution d'un papillon

Chapitre 1 : Terrain d’enfance 

Le plus simple n'est pas de penser mais de rêver... 


Être 

Je ne cherche pas mon chemin, je m'y suis trouvé. Tombé sur lui sans savoir où j'allais, je progresse sans cesser d'espérer. C'est aussi lui qui pourrait m'égarer. Un petit tourbillon, et me voilà acculé, emporté, dans les coins reculés. Une caresse légère, et voici que mes voiles frissonnent, d'une rumeur où poser mes ailes. Sur un tapis flottant de senteurs distillées, je respire l'haleine fraîche d'une femme dénudée, ma belle Nature, celle que j'aime par-dessus tout. Porté par ses effluves, je m’évanouis dans le paysage olfactif de ses parfums de fleurs. Ses odeurs me racontent mille merveilles de nectars endormis, au fond de corolles alanguies qui n'attendent que ma venue. Et de-ci de-là, je trempe ma trompe dans le creux de la belle, et plonge mon innocence dans la vertu de son cœur épanoui. Cette fleur m'est offerte. Je suis en amour. Mes ailes frétillent de tant de divine liqueur, et je sens en moi une explosion de bonheur. Tremblant de toute mon âme de papillon, je me sens happé à nouveau par la promesse d'un souffle d'air, qui m'arrache à mon refuge provisoire. 

Avant de partir, lorsqu’on est seul, face à l'océan à traverser, tout semble possible. En étant bien équipé tout est toujours possible, mais je ne suis pas un albatros moi, et encore moins un écrivain, je suis un simple papillon. Si léger qu'un brin de vent suffit à dévier ma course, et je n'ai ni carte, ni destination. Où je vais ? Je n’en sais rien, mais je pars. Décoller quand même, coûte que coûte, et vaille que vaille !! Je m'en remets aux vents maintenant. Je vais voler au gré des courants ascendants ou descendants, peu importe. L’épeire guettera ma chute, se régalant à l’avance de sentir battre mon aile, mais je sais aussi qu’une brise, aussi minime soit-elle, pourrait porter mon vol. On verra si l’invisible me soutient. Pour l’instant, je suis jeune, je suis libre. Libre d'aller où l’air me pousse, et je me préoccupe peu du reste. J'accepte la dérive. L'invisible est mon inspiration. J’ai dix ans.

 Je voudrais être, mais je ne pense qu’à rêver. C'est juste qu'au fond de moi volette un papillon, c'est ma nature profonde, je suis du genre volatile, à la merci d’un souffle. J'ai pris des vents de toutes sortes, de toutes forces et directions ; j'en ai éparpillé des écailles, et laissé derrière moi les racines d’une plante nourricière en lambeaux. Balayé comme une minuscule graine de poussière, je n'ai pas retrouvé, ni recherché d’ailleurs, les miettes éparpillées ; j'ai perdu mon chemin et c’est très bien comme ça. En voyageant, on voit du pays, et faute de prendre de la hauteur, on peut prendre de la distance. 


 N'être

Pour le papillon, point de sommet, ni de chemin, juste des destins oniriques, des senteurs éphémères de couleurs parfumées. J'ai senti quelque chose en rêvant ce matin. Tel que je m'en souviens, c'était une sensation toute nouvelle de fraîcheur sur ma peau. Comme si je n’avais jamais été ce que je croyais être, et que je ne savais pas vraiment ce que j’allais devenir. J’ai eu l’impression de sentir mon identité se renouveler sans vraiment saisir le but de la transformation. En grandissant, je ressentais régulièrement en moi la perte d’une enveloppe charnelle, et en même temps l’apparition de nouvelles parties de mon être. Dans ma tendre enfance, je n’étais encore qu’une chenille cherchant à dévoiler sa nature profonde. En abandonnant des couches successives, je finirai bien par trouver ce qui se cache au fond de mes cortex. Le but étant de trouver costume à sa taille, je changeais de peau en grandissant, rien de plus normal. Notre corps évolue ainsi avec notre conscience, par itérations progressives. Mais changer n’est pas le but en soi, le plus important est de comprendre ce que nous sommes au fond, et réaliser notre nature entre chaque étape. Une chenille n’a aucune notion de ce qu’elle est, elle se contente de naître et de renaître à chaque mue, sans se soucier de ce qu’elle fut ou deviendra. C’est ainsi que nous sommes enfant, avec la sensation d’être, mais de n’être pas encore. N’être qu’un enfant... 

C’est la sensation fugace d'unité avec la vie et le moment présent, un temps de disponibilité où seule la seconde compte. Lorsque l’esprit se laisse guider par l’abandon à l'instant et à l’instinct, nous sommes, tout simplement. La vie pure dans la conscience et la confiance d’être, cette sensation d'union sacrée avec soi-même et tout l'univers, les enfants nous l'enseignent par leur liberté de n’être rien d’autre que ce qu’ils sont. Lors de la magie d'une rencontre juvénile avec une coccinelle, une libellule ou un caillou un peu spécial, lorsque tout s'efface autour d'eux, ne compte plus que cet amour infini, qui ne dure que le temps d'un rêve. Le songe de l’enfance vient du soleil et du vent. Ses racines plongent dans la Nature, le terreau fertile de ma jeunesse. J'ai trouvé un chemin, et je ne sais pas où il mène, mais j'y vais quand même ; au moins je sais d’où je viens. Je viens d'un territoire magique et d'une région unique dont nous venons tous, le pays de l'enfance, où tout est possible car tout est imaginable à volonté. Voilà ce qui m'étonne toujours, la malléabilité de l’esprit. Balayée l'extase de l’instant qui s'évapore comme il est venu, voilà l'indéfinissable glissement par lequel la grâce de l'éphémère se dissout dans l'espace et le temps. Je suis sidéré par la volatilité de la vie, par les parfums fugaces et par les souffles changeants. Instable girouette, j’ai pourtant en moi des sensations immuables, le mystère insaisissable de l’intention et de la direction du vent. Parfois je doute, et redoute autant de sentir que rien ne peut être retenu, que tout disparaît comme l'air dans la main. On croit tenir quelque chose, et soudain on s'aperçoit qu'il n'en est rien. 

C'est ainsi pour les certitudes, comme pour les idées, aussi fugaces que des papillons. A peine croit-on avoir compris quelques choses, qu'on s’aperçoit n’être qu’un sombre ignorant. On reste honteux quelques instants et puis ça repart, le chemin se dévoilant et se perdant à mesure qu'on le parcourt. A peine croyons-nous être, que nous réalisons n’être rien, rien qu’un instant, aussi éphémère qu’une sensation. Et le sommet s'éloigne à mesure qu'on s'en approche. A peine croyons-nous être fort, qu’il suffit d’un rien, pour devenir aussi fragile qu’une tendre chenille après sa mue. L’inverse est aussi vrai, car la vulnérabilité apporte son lot de contraire, et nous donne une force spéciale, le courage d’avancer malgré tout et de trouver la vérité dans un instant. On naît, et puis on est, ensuite on n'est, et on renaît... 

Lorsque notre âme réalise ce que notre esprit comprend, nous muons, et grandissons intérieurement.


 Naître 

Malgré ce que les hommes s’infligent, l’enfant que nous avons été nous transmet le souvenir de la rencontre avec le merveilleux. C’est dans l’imaginaire que nous puisons notre force de vie, et que nous pouvons alléger la souffrance de notre condition humaine, jusqu’à l’élever. La douleur qui est en nous, permet aussi de grandir, à condition de l’exposer à la lumière, de lui faire prendre l’air, de l’exprimer. L’expiration est la délivrance de l’inspiration. Ce qui reste en nous sans voir le jour est perdu à jamais. Toute question en suspens attend sa réponse. Chaque question sans réponse est un poids mort qui ralentit nos chemins de vie. Toute vie attend sa naissance, ses renaissances et l’expulsion douloureuse de ce que nous sommes au fond. Les enfants débordent de vie, ça oui, vivant même parfois au point d’en exploser et faire voler en éclat ce monde d’adulte. Un enfant crie et pleure quand il souffre, alors qu’un adulte retient généralement ses mots et ses larmes. C’est la même chose pour la joie, moins pour la colère. Trop de maux demandent à se dévoiler, et plus on les retient plus on a mal. Les mues successives nous font sortir de nous-même et évoluer, et nous soulagent également. Le changement et la douleur de la perte accompagnent toujours le fait de grandir ; ces petites morts permettent de réaliser que la souffrance est la condition de toute existence, et que la rencontre avec l’inconnu est la condition de tout homme. C’est en libérant ce que nous avons en nous au plus profond, en dévoilant au fur et à mesure ce que nous sommes, que nous pouvons vivre, mourir et renaître. 

Les souvenirs s’effacent progressivement, les bons comme les mauvais. Le vent et le temps balayent presque tout, et qui d'entre nous peut revenir en arrière ? Perdus à jamais ? Rien n'est plus injuste dans la vie que de perdre cet état de grâce et de légèreté de l’enfance, le papillon qui est en nous, plaqué au sol par le souffle des rafales, fracassé sur les récifs de l’âpreté humaine par une mer en furie. J'ai vécu des tempêtes d’ivresse, et puis pleuré de rage, furieux d'avoir égaré la magie de ma jeunesse. Mais se perdre ne signifie pas être perdu, car certaines étoiles nous guident toujours et brillent au firmament à nouveau une fois le mauvais temps passé. Ces soleils qui existent en nous, éclairent nos routes et nos consciences. Capter un brin de lumière quelque part et transmettre une lueur d’espoir, permet d’illuminer les cœurs assombris. Parfois même sans que nous en soyons conscient, c’est un parchemin qui s’éclaire, une carte qui n’attend qu’une occasion pour dévoiler ses secrets, et mettre en lumière un chemin. Ballottés par la houle et les courants comme des navires en perdition, la traversée ressemble souvent à une lutte acharnée contre des éléments démontés. La vie est un parcours du combattant mais des étoiles immuables nous éclairent bien souvent, pauvres rescapés que nous sommes, réchappés d’un naufrage d’émotions programmées, sur une île intérieure dont la carte n’est qu’un souvenir lointain. Il faut mettre le cap sur cette île des premiers âges, pour redécouvrir le trésor enfoui.

Premières pages de mon livre "Révolution d'un papillon"

Publié à compte d'éditeur (Édition du Cordeau) en 2021. Stock épuisé. 

Ouvert à toutes propositions de réédition.